J’ai décidé de me replonger dans l’univers de Terry Pratchett. Suite à la thèse, j’avais fait une overdose de Disque-Monde mais il est temps pour moi d’y retourner. J’ai lu l’ouvrage d’Aude Federspiel et je vais essayer d’en faire un retour le plus complet possible.
L’objet : un très beau livre, grand format, une couverture magnifique, une reliure solide. Bref un ouvrage de bonne qualité mais un peu cher, 29,90. Seul petit bémol, la police un peu fantaisie utilisée pour des titres : elle est certes belle mais heureusement que sa présence est limitée car elle pourrait fatiguer à la lecture.
L’ouvrage est découpé en quatre parties de longueurs inégales. La première et la dernière partie sont les plus importantes en terme de pages.
La première partie est consacrée à la biographie de Terry Pratchett. Cette partie est assez détaillée et intéressante. Je n’ai pas forcement appris beaucoup de choses mais je l’ai trouvée bien construite et bien écrite. L’autrice se base surtout sur des sources premières (discours, interviews et essais de Terry Pratchett lui-même) et sur la biographie par Marc Burrows, The Magic of Terry Pratchett. Le hasard des choses a voulu que A. Federspiel publie son ouvrage plus ou moins au même moment que la publication de la biographie officielle de Terry Pratchett par Rob Wilkins, donc elle n’a pas pu se baser dessus. Dommage mais en tout cas, l’autrice fait un excellent travail pour cette partie-là.
Dans la seconde partie, A. Federspiel présente l’œuvre majeure de Terry Pratchett : Les Annales du Disque-Monde en trois chapitres, dont deux sur le découpage du corpus. Le premier découpage repose sur les sous-séries centrées autour d’un ou plusieurs personnages. Ce découpage des romans est très fréquent et est même utilisé par les éditeurs (par exemple quand l’Atalante réimprime un tome regroupant les romans autour de la Mort ou des Sorcières). Le second découpage me semble plus intéressant car l’autrice s’appuie sur la démarche de l’auteur par rapport à son univers : parodie pure, recherche d’une cohérence et consolidation de cet univers. Enfin le troisième chapitre (qui est placé entre les deux autres) est consacré à la présentation de quelques lieux et surtout des différentes communautés ou races du Disque-Monde.
La troisième partie permet à l’autrice de présenter les œuvres hors Disque-Monde de Terry Pratchett, en relevant les points communs et les différences entre les Annales et les autres romans.
La dernière partie est consacré à des analyses sur l’œuvre de Terry Pratchett dans son intégralité, des analyses sur sa manière d’écrire, sa relation aux genres littéraires et aux thèmes qu’il traite. Par exemple, elle mentionne le modèle que constitue Tolkien pour Terry Pratchett et compare notamment leur position face à la modernité, en y associant leur vécu. Dans cette partie, elle utilise souvent la biographie de l’auteur anglais pour expliquer certains choix ou certaines positions et, même si l’usage de la biographie comme grille de lecture en littérature est souvent à manier avec précaution, elle pose des points très intéressants. J’ai aussi aimé par exemple sa présentation de la colère comme d’une force positive chez Terry Pratchett.
Globalement l’ouvrage est intéressant, solide mais il me semble parfois superficiel. Il y a des rapprochements qui ne sont pas faits (par exemple comment ne pas relier le combat de la mort dans la dignité de Terry Pratchett à la fin de sa vie avec cette peur de la déchéance qui transparaît à différents moments des Annales, quand la reine des elfes menace Mémé ou quand Angua a peur de perdre le contrôle de ses actes) ou des liens qui sont fait un peu tardivement (A. Federspiel décrit qu’un type de méchant chez Terry Pratchett repose sur leur égocentrisme, sans se soucier des autres et il faut attendre la conclusion pour voir apparaître la définition du mal par Mémé).
Il y a certains points qui me semblent absents ou sous-développés. A. Federspiel parle par exemple de l’aspect parodique des premiers tomes, aspect toujours présent dans les tomes suivants mais plus diffus. Elle mentionne peu le fait que les Annales sont très riches en intertextualité avec des références parfois très précises, qui ne relèvent pas uniquement du cliché tourné en dérision, et très éclectiques. Trois Soeurcières s’ouvrent sur la première réplique de Macbeth, mot pour mot. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres et quand elle décrit la relation auteur/lecteur basée sur une complicité, elle ne mentionne pas le fait que ce petit jeu de clins d’œil très précis fait partie d’un jeu entre l’auteur et le lecteur. Elle mentionne que Terry Pratchett participait à des groupes de discussion avec ses fans sur internet mais l’une des activités de ces groupes consistait notamment à relever et recenser tous ces clins d’œil, dont les résultats sont encore consultables sur le plus important site de fans de Terry Pratchett, The L-Space (https://www.lspace.org/books/apf/index.html).
Ce coté un peu superficiel se révèle aussi dans la bibliographie qui me semble légère, notamment pour la partie analyses. L’autrice se contente, à une ou deux exceptions, des sources imprimées pour le grand public mais néglige les publications universitaires consacrées à Terry Pratchett.
Ce dernier point m’amène enfin à me poser la question du lectorat visé. Les trois premières parties pourraient être une bonne introduction à l’univers de Terry Pratchett mais malheureusement l’autrice révèle parfois un peu trop des intrigues pour complètement donner envie de les lire (j’avoue avoir du faire très attention car je n’ai pas encore lu tous les romans hors Disque-Monde et clairement je ne raffole pas des spoilers). Mais la dernière partie, bien qu’elle ait à mes yeux trop d’exemples et d’informations un peu superficielles, nécessite tout de même une certaine connaissance. Alors, guide pour néophytes ou ouvrage d’analyses pour les passionnés de Terry Pratchett, ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre à mes yeux.
En conclusion, l’ouvrage d’A. Federspiel est intéressant, bien construit, solide mais il y a beaucoup d’informations descriptives par rapport aux romans et à leurs intrigues, et les analyses, présentes, intéressantes, solides aussi, mais souvent superficielles. Des idées stimulantes mais beaucoup trop d’informations inutiles pour une lectrice connaissant bien l’œuvre de Pratchett.