Résumé :
A sa sortie de prison, Tom Joad décide de retrouver sa famille, une famille de fermiers. Seulement voilà, la Grande Dépression a frappé. Les petits agriculteurs s’endettent et perdent leurs terres. C’est le cas de sa famille, jetée sur les routes dans l’espoir de trouver un travail ailleurs, dans l’espoir de pouvoir vivre dignement de leur travail…
Critique :
J’ai décidé de lire ce roman pour deux raisons : de un, j’ai aimé Des Souris et des Hommes, qui se lisait vite et bien ; de deux, j’étudiais les années Roosevelt pour un concours et ça correspondait à cette époque. J’ai trouvé que c’était un livre intéressant, stimulant mais aussi assez exigeant.
On suite les pérégrinations de toute la famille Joad dans son voyage de leur terre natale, l’Oklahoma, à la Californie où ils espèrent trouver du travail et une vie normale. La famille est assez nombreuse : Pa, Thomas Senior, et Man, leurs enfants (Tom Jr, qui sort de prison, Al, jeune homme doué en mécanique et qui voudrait en vivre, Rose de Sharon, enceinte de son mari Connie, et deux enfants plus jeunes : Ruthie et Winfield) ainsi qu’une troisième génération, les parents de Pa. Bref Tom retourne à la ferme familiale, qu’il trouve déserte. Sur le chemin, il rencontre Jim Casy, le pasteur défroqué. Devant la ferme vide, ils vont jusqu’au logement de John, l’oncle, où ils retrouvent toute la famille se préparant pour ce grand voyage vers l’ouest.
Le titre vient du scandale de la situation des agriculteurs de l’époque : on laissait pourrir certaines récoltes (dont le raisin) car les petits fermiers n’avaient pas les moyens de payer des journaliers pour cueillir les produits (vu que la vente de ceux-ci ne permettrait pas de faire suffisamment de bénéfices). A l’époque, pour remonter le cours des produits agricoles, on détruisait aussi certaines récoltes pour réduire l’offre, alors que des millions d’Américains souffraient de la Grande Dépression et mourraient de faim. Enfin c’est une référence à la chanson The Battle Hymn of the Republic par Julia Ward Howe.
Certains personnages sont plus intéressants et plus développés que d’autres. On suit surtout Man et Tom, qui semblent être les deux piliers de la famille. Pa n’arrive pas à aller de l’avant et pleure sa ferme qu’il a perdu à cause des dettes. L’oncle John est un homme brisé suite à la mort de sa femme des années auparavant. Casy parle beaucoup, mais, étonnamment, est prêt à agir quand il faut. Les deux enfants et Rose m’ont semblé plus fades. Rose est particulièrement énervante.
Pour ceux qui ont aimé Des souris et des hommes, on retrouve un peu le style mais les Raisins de la colère me semble être plus riche et plus difficile. J’ai trouvé le roman exigeant car sa construction est inhabituelle. L’auteur alterne les chapitres racontant l’histoire des Joad avec des chapitres plus impersonnels, qui narrent des situations typiques de l’époque. Par exemple, proche du passage où Tom apprend que ses parents ont été expulsés, on trouve un chapitre mettant en scène la confrontation typique entre un fermier et l’employé de banque qui vient lui annoncer que sa propriété va être saisie. D’un côté ces chapitres “typiques” n’apportent rien à l’histoire même des Joad, et donc ralentissent l’action, mais en même temps cela créé un contexte et donne aussi une dimension de témoignage au roman ainsi que de parti pris politique, puisque ce qui se dégage de ces chapitres (et dans une mesure moindre dans l’histoire des Joad) c’est une vive critique du système de l’époque. Ces chapitres ont été les plus longs à lire et pourtant c’est eux qui recèlent les passages les plus engagés, les plus stimulants de l’œuvre. Quelques citations pour illustrer cela :
” Craignez le temps où les bombes ne tomberont plus et où les avions existeront encore… car chaque bombe est la preuve que l’esprit n’est pas mort. Et craignez le temps où les grèves s’arrêteront cependant que les grands propriétaires vivront… car chaque petite grève réprimée est la preuve qu’un pas est en train de se faire. Et ceci encore vous pouvez le savoir… craignez le temps où l’Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l’homme même, et cette qualité seule est l’homme, distinct dans tout l’univers.”
” Et les grands propriétaires terriens auxquels un soulèvement fera perdre leurs terres – les grands propriétaires qui ont accès aux leçons de l’histoire, qui ont des yeux pour lire, pour reconnaître cette grande vérité : lorsque la propriété est accumulée dans un trop petit nombre de mains, elle est enlevée… et cette autre, qui lui fait pendant : lorsqu’une majorité a faim et froid, elle prendra par la force ce dont elle a besoin… et cette autre encore, cette petite vérité criante, qui résonne à travers toute l’histoire : la répression n’a pour effet que d’affermir la volonté de lutte de ceux contre qui elle s’exerce et de cimenter leur solidarité…”
J’ai aussi été frappée par l’analyse de Steinbeck de la société dans laquelle il vivait. Ce qu’il dit des banques (“La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C’est le monstre. C’est les hommes qui l’ont créé, mais ils sont incapables de le diriger.”) rappelle beaucoup la vision qu’on peut en avoir de nos jours.
Bref j’ai aimé cette lecture mais elle fut difficile, lente mais passionnante. J’ai aimé les deux aspects de cette œuvre : l’histoire qu’elle raconte, car on finit par s’attacher aux personnages mais aussi l’aspect militant, la dimension de témoignage sur une époque qu’elle développe.